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#2. Quelles conceptions inter-institutionnelles de la participation en cités éducatives ?

  • lauriegenet
  • 14 mai
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 2 heures

Ce billet propose d’interroger les conceptions interinstitutionnelles de la participation des publics dans les cités éducatives, à l'échelle des institutions concernées.

« Dès le début du processus [de mise en oeuvre des cités éducatives], en s’appuyant sur les réseaux experts en la matière, il conviendra de veiller à associer systématiquement les parents, les jeunes et les habitants concernés, à travers notamment les associations de parents d’élèves, les autres associations, en particulier celles qui œuvrent au soutien à la parentalité et les conseils citoyens, pour faire de la « cité éducative » une ambition partagée. Il conviendra particulièrement de veiller à la participation des enfants et des jeunes (délégués de classe, conseils de vie lycéenne, conseils de jeunes, consultation, etc.) à l’élaboration de ce projet éducatif. »  (Vademecum cité éducative, 2020, p.5).

Si la participation des publics au sein des politiques socio-éducatives est particulièrement encouragée, fait-elle vraiment consensus aujourd'hui à l'échelle inter-institutionnelle ?




1. Une entente de façade sur la participation des habitants : un consensus "mou" 🤝


Au sein des cités éducatives, la participation des habitants — et en premier lieu des jeunes — fait figure d’évidence, à la fois dans les textes qui régissent le label, mais également au niveau des représentants institutionnels à l'échelle locale.

Les institutions - éducation nationale, municipalité et préfecture - s’accordent tous sur l’idée qu’impliquer les publics est souhaitable, légitime, utile.


Le problème ? Cet accord relève souvent d’un consensus mou (Carrel, 2017) : une sorte d’évidence partagée, mais jamais débattue.

Chacun est d’accord sur le principe, mais pas sur les finalités, ni sur les modalités de cette participation. La participation devient alors un mot-valise, mobilisé dans les fiches projets, les réunions de coordination, les bilans… sans que les institutions présentes ne s’accordent réellement sur ce que cela signifie, ni sur ce que cela implique. Ce terme est mobilisé dans des contextes variés sans clarification de ses implications concrètes (décision ? consultation ? information ? - (Arstein, 1969).


En ce sens, il s'agit plus de "faire participer" en réponse aux multiples injonctions à la participation, sans entrer dans le débat, plutôt que de penser une participation émancipatrice à l'échelle des territoires.


À l'échelle institutionnelle, la participation apparait comme un mantrat, toutefois, un ensemble de questions restent sans réponse :

  • Qui devrait participer ? Quels sont les publics précisément ciblés ?

  • Quelles formes de participation sont attendues ?

  • Pour quelles raisons les publics participeraient-ils ? Quels serait les objectifs de cette participation ?

  • Quels pourraient être les outils facilitant la participation ?


2. Des conceptions divergentes et peu confrontées à l'échelle de la gouvernance🏛️


Si la participation semble évidente dans les discours, elle est en réalité traversée de tensions institutionnelles qu’il convient d’éclairer.

Derrière le mot « participation » se cachent des conceptions professionnelles très différentes selon les institutions. Ici, nous ne proposons pas de distinguer quels seraient l'institution la plus à même de "faire participer" ou de proposer des formes de participation efficiente des publics, puisque au regard des observations que nous avons menées, les logiques institutionnelles sont largement différentes en fonction des territoires. Autrement dit, une "conception" relevée chez un représentant de la préfecture dans la cité éducative A. pourra être relevée chez un représentant institutionnel municipal dans un territoire B.


La participation des publics constitue pour l'ensemble des institutions, un défi, une problématique, un enjeu difficilement surmontable. En ce sens, nous notons des discours au sein desquels les professionnels défendent la nécessité de faire participer, sans réellement parvenir à s'accorder sur une définition de la participation des publics.

En revanche, nous avons pu faire émerger trois logiques, trois postures qui illustrent les différentes conceptions de la participation à l'échelle "institutionnelle' des cités enquêtées, et notamment au niveau des troïkas :


  • Une participation "incontournable" : un critère nationalement et localement défendu

La participation (comme le partenariat) est présent dans l'ensemble des textes de cadrages des cités éducatives et constitue un des critères incontournables. Les remontées d'informations, produites chaque année, invite les instances locales à compléter des éléments sur cette "participation" à la fois de manière globale et transversale, mais également au sein de chacun des projets.



En effet, en 2023 par exemple, un encart explicite invitait chaque cité éducative à se positionner sur "l'association" des publics au fonctionnement de la cité éducative.



Nous pourrions relever de nombreux points ici, d'abord ce terme "associer" dont nous pourrions questionner le sens, mais également des points plus subtils, notamment la "largeur" des publics ciblés, sans possibilité de précision, l'aspect très quantifié de cette participation ou encore les termes peu explicites employés : "participation active", "consultation en amont", "mobilisation"...


Dans le même sens, la participation réapparait comme un critère incontournable dans chacune des fiches projets à l'échelle locale. Au sein d'une cité éducative par exemple, différents choix (à cocher) soit donnés aux porteurs :

Axe local auquel répond mon projet : 

  • Une complémentarité de l'action des parents et des professionnels 

  • Des professionnels mieux outillés pour plus d'inclusion et participation.

  • Des adultes qui s’interrogent sur leurs représentations

  • Un renforcement du pouvoir d'agir des enfants et des jeunes 

  • ...

Ici, la "définition" de ce qui est sous-entendu par chacun des axes semble plus opérationnel, toutefois les porteurs de projets doivent seulement cocher un ou plusieurs éléments, sans avoir à justifier comment le projet répondra à cet axe, dans une démarche très déclarative (Cf# 3).


  • Une participation impensée : une problématique évacuée des instances locales...

Nous donnons ici une illustration qui nous semble représentative des impensés autour de la participation à l'échelle des gouvernances des cités éducatives.

Au sein d'une cité éducative labellisé en 2019, nous assistons à des échanges en 2025, sur cet enjeu de participation au sein d'une instance. L'équipe projet se questionne sur les critères d'évaluation des projets en amont de leur dépôt par les professionnels et établit que la participation des publics est un point incontournable. Lors des évaluations des projets, ce que recouvre la participation des habitants est ici questionnée pour certains projets, notamment lorsque les jeunes "participants" sont des publics "captifs", inscrits dans le cadre scolaire, ou lorsque les "participants" sont uniquement "présents" et non impliqués. Durant ces échanges, un membre de l'équipe projet mentionne le fait que "la troïka doit bien avoir une définition de ce qu'ils défendent en termes de participation". À cela, la Chef de projet opérationnel soupire en exprimant le fait qu'il n'y a pas de réflexion à ce sujet au niveau de la troïka. Rapidement, les évaluations des projets s'enchainent et cette "problématique" autour de la définition de la participation des publics est évacuée, comme si répondre à cette question relevait de l'impossible et donc, de la perte de temps.

Nous constatons en ce sens que lorsque la réflexion pourrait être engagée concernant la définition de ce que pourrait être la participation des publics, celle-ci est rapidement évacuée, remise à plus tard.


  • Une participation dont la responsabilité est souvent déléguée

De plus, la responsabilité même de la mise en œuvre de la participation est particulièrement déléguée. Les représentants institutionnels ont tendance à enjoindre un impératif participatif (Blondiaux, 2007) et à défendre l'idée de participation des habitants sans pour autant accompagner sa conception et sa mise en oeuvre à l'échelle locale. En effet, ils estiment ne pas être en mesure de le faire et délèguent cette tâche aux professionnels socio-éducatifs ancrés aux territoires.


Par exemple, dans cet extrait, il s'agit d'une municipalité qui soutient (financièrement) des résidences d'artistes, et qui se décharge de l'incapacité des professionnels qu'elle a elle-même engagés de ne pas parvenir à faire participer les publics tel qu'il l'avait été convenu. Il s'agit ici de "rejeter la faute" avant même de remettre en question sa propre capacité à concevoir et mettre en oeuvre une forme de participation, ou même sa capacité à penser et déployer de nouveaux outils ou postures.

"Normalement on aimerait bien commencé cette année, ça sera à destination des enfants mais ce qu'on souhaiterais aussi c'est toucher les familles, qui est quand même un des objectifs aussi de la cité éducative, c'était un des objectifs, pour l'instant que les artistes n'ont pas réussi à mettre en œuvre, c'était que les parents puissent un moment donné participer au projet sur le temps scolaire." - Responsable service culturel Ville.

Autrement dit, la responsabilité de la participation des publics, ici des parents, est déléguée, afin de répondre aux injonctions participatives, sans que soit pris le temps de penser cette participation à l'échelle institutionnelle, et d'autant moins à l'échelle inter-institutionnelle.

3. Quand l'absence de débat alimente l'ambiguïté 🚧


Cette "précipitation" peut avoir des effets délétères, notamment lorsqu'il s'agit de la participation des jeunes, où nous rejoignons les propos de Véronique Bordes qui écrit : « En créant des espaces de participation, les adultes attribuent une place qui permet de reproduire la société, éloignant de fait toute évolution ou changement. » (Bordes, 2024, p. 272). Autrement dit, une participation impensée laisse place à des places floues données aux publics et des décisions ambivalentes enjointes aux professionnels.


L’absence de confrontation des conceptions à l'échelle institutionnelle participe à maintenir une entente de façade qui évite les conflits ouverts, mais produit plusieurs effets pervers :

  • Des malentendus et des tensions institutionnelles, sur les finalités mêmes des projets (et les choix).

  • Des projets "dits" "participatifs", où les intentions et/ou évaluations affichées ne correspondent pas réellement aux formes de participation observées à l'échelle des territoires

  • Un risque d'épuisement :

    • de la part des professionnels socio-éducatifs qui pâtissent de cet "impensé" autour de la participation des publics

    • de la part de certains publics "eux-mêmes", très largement sollicités pour "participer" aux projets, mais dont les formes de participation peuvent aller de la simple présente à une véritable implication

  • Un "flottement" de la participation, toujours enjointe sans être réellement palpable.




Et vous ✍️: Ici, nous avons mis en lumière certains paradoxes et tensions  — parfois la dissonance — dans les façons de définir la participation des publics à l'échelle inter-institutionnelles. Ces conceptions ne sont pourtant pas de simple des opinions : elles orientent les actions, filtrent les priorités, tracent des frontières.


📌 Dans vos contextes de travail, quelles représentations circulent au sujet de la participation ?

📌 Observez-vous des écarts entre les discours tenus insitutionnellement et les pratiques individuelles effectives lorsqu'il s'agit de participation ?

Vos retour peuvent contribuer à mieux comprendre comment se construisent — ou se négocient — les conceptions inter-institutionnelles et inter-professionnelles dans les dispositifs éducatifs territorialisés.



Dans le prochain billet, nous proposons de penser les conceptions des professionnels de terrain au sujet de la participation et les manières dont elles peuvent être nourries, mises au débat, co-élaborer, dans la perspective d'une conception partagée.



Bibliographie :


Arnstein, S. R. (1969). A ladder of citizen participation. Journal of the American Institute of Planners, 35(4), 216 224.

Blondiaux, L. (2007). La démocratie participative, sous conditions et malgré tout : Un plaidoyer paradoxal en faveur de l'innovation démocratique. Mouvements, 50, 118-129.

Carrel, M. (2017). Injonction participative ou empowerment ? Les enjeux de la participation. Vie sociale, 19, 27-34.


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