#3. Continuum des pratiques professionnelles & participation ... ?
- lauriegenet
- il y a 4 jours
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Dernière mise à jour : il y a 4 heures
Nous proposons ici de réfléchir aux conceptions de la participation chez les professionnels socio-éducatifs et aux différentes résistances rencontrées dans la mise en œuvre de projets participatifs.
« Le risque c'est de monter des projets participatifs pour dire oui, il y a des projets, mais qu’ils ne touchent personne ou ils vont toucher ceux qui sont déjà utilisateurs des structures, et ce n’est pas nécessairement ce qu’on veut. Et en fait, on perd ce truc-là d’aller chercher les plus fragiles, les plus précaires, les plus... C'est le risque partout, mais je pense que là, sur la cité éducative, c'est un des points sensibles et auxquels il faut prêter attention. » [Chef de projet opérationnel cité éducative].
1. Une injonction à la participation… mais quelles réponses ?

Dans les cités éducatives, tout le monde s’accorde : il faut impliquer les habitants, et en premier lieu les jeunes. Mais derrière cette injonction participative (Carrel, 2017), se cachent des questions : modifier vraiment nos pratiques ? Partager le pouvoir de décision ? Beaucoup de professionnels ne remettent pas en cause l’idée même de « faire participer », mais peinent à la traduire sur le terrain.
De plus, comme les représentants institutionnels, les professionnels de terrain possèdent des conceptions singulières de ce que revêt la participation.
Au regard de différentes cités éducatives enquêtées, on repère trois grandes postures professionnelles que les professionnels socio-éducatifs adoptent au sujet de la participation :
Une adhésion à l'idée de participation 🤝
Pour certains professionnels, la participation renforce simplement des valeurs déjà en place, qu'ils défendent de longue date : démocratie, co‑construction, rôle actif des jeunes et des parents. Ces professionnels font de la participation un moteur en proposant des ateliers pensés « avec » et non « pour », en organisant des temps où les jeunes proposent et (parfois) pilotent des idées. Dans les faits, pour ces professionnels, l'injonction participative renouvelée par le label cité éducative ne modifie que peu les pratiques mises en œuvre depuis de nombreuses années.
Au Centre Social E. les professionnels mènent un projet "citoyen" et organisent des temps d'élaboration avec un groupe d'adolescents. Les jeunes sont sollicités sur les questions de thématiques abordées, mais également d'organisation et de mise en œuvre. Les jeunes sont moteurs des décisions, prennent également des rôles de médiateurs, lorsqu'il s'agit de lancer les débats, distribuer le matériel ou restituer les éléments. Les jeunes ont pris part aux décisions plus importantes, notamment en choisissant ensemble d'organiser une visite de l'Assemblée nationale. Dans ce cas de figure, les professionnels, habitués à "laisser faire" les jeunes, ont accepté de se laisser guider par le groupe. |
Une dilution symbolique de la participation 📝
Entre adhésion et retrait pur, beaucoup de professionnels se contentent d’« ajouter » des éléments "participatifs" qui permettent, notamment, de cocher les cases de la cité éducative et d'obtenir les financements associés. Ce sont des professionnels "de bonne foi", qui défendent les valeurs participatives, mais qui ne possèdent ni les moyens (humains et financiers), ni le temps de penser et mettre en œuvre des outils et de co-construire avec les publics. Ici, le risque est de mettre en exergue une "participation de façade" : une participation des publics inscrite et mise en avant dans les réponses aux appels à projets et bilans, mais une participation qui évolue peu, concrètement, à l'échelle des actions.
Au sein de l'association B. un projet est déposé dans le cadre de la cité éducative en réponse à un besoin identifié : des mères de familles particulièrement éloignées des politiques publiques. Pour répondre à cette demande explicite du label, l'association rédige un projet en proposant des ateliers de paroles, entre mères, durant la période estivale. À l'issue de ce projet, aucun groupe de parole n'est mené, en raison d'une incapacité de l'association à fédérer les mères du territoire. Ici, les professionnels souhaitent mettre en œuvre un projet participatif et impliquer ces mères de familles, mais les temporalités et les outils déployés ne le permettent pas. L'association parvient tout de même à conserver les financements obtenus dans le cadre du label cité éducative l'année suivante, en explicitant les difficultés et en donnant à voir des outils de remédiation. |
La résistance et le contournement 🚧
Lorsque participation rime avec une institutionnalisation trop lourde, certains bricolent pour faire de la participation des publics un axe fort des projets proposés, sans pour autant penser la mise en œuvre du projet tel qu'il est donné à voir. Autrement dit, et toujours dans cette logique d'obtention de fonds, les professionnels admettent rédiger des fiches projets "idéales", en affirmant une posture de résistance. Les professionnels cochent les cases en restant ancrés dans des postures qui limitent, voire empêchent la participation.
Au sein d'un projet mené par des artistes au sein d'une école primaire, où l'enjeu est de donner la possibilité aux élèves et à leurs parents de s'exprimer sur le projet de rénovation urbaine en cours, les professionnels revoient très rapidement leurs ambitions à la baisse. Dans la fiche projet, nous pouvons lire, "des déambulations avec les parents seront organisées" ou "des ateliers parents-enfants auront lieu". Dans les faits, l'ensemble des points du projet qui nécessitait de faire venir les parents dans l'école est balayé. Les professionnels rencontrés admettent que ces éléments rédigés constituaient un effort "factice" de leur part pour s'inscrire dans l'appel à projet, mais qu'ils n'ont pas les moyens de les mettre en oeuvre. |
2. Des résistances professionnelles dans la mise en oeuvre de la participation des publics 💥
L'injonction participative au sein des cités éducatives, bien qu'elle représente une tentative louable d'impliquer les habitants dans la coconstruction des projets éducatifs, se heurte à plusieurs défis pratiques et théoriques, auxquels doivent faire face les professionnels socio-éducatifs.
Nous nous appuyons ici sur les travaux de Soparnot (2013), qui distingue les résistances identitaires, psychologiques, politiques, collectives, culturelles et cognitives.
Lorsqu'il s'agit de la participation, nous n'avons pas relevé de résistance collective et culturelle, dans le sens où les professionnels sont majoritairement en accord avec la volonté d'impliquer les publics.
En revanche, nous avons noté des résistances psychologiques, identitaires, cognitives et politiques.
Des résistances psychologiques : Nous n'aborderons que peu les résistances psychologiques qui sont, nous semble-t-il, davantage liées aux conditions de travail et aux configurations professionnelles de manière générale, plutôt qu'au fait d'impliquer les publics à proprement parler. Les résistances psychologiques interviennent lorsque les changements sont vecteurs d'anxiété et d'instabilité.
Des résistances identitaires : Pour certains professionnels, répondre à l'injonction à la participation serait l'objet de trop nombreux bouleversements, qu'ils soient personnels ou émanant des pratiques institutionnelles. Autrement dit, les injonctions à aller-vers et à construire de nouvelles démarches participatives entrent parfois en confrontation avec les "manières de faire ordinaire" dont il est difficile (parfois impossible) de s'extraire.
Par exemple, une professionnelle de l'éducation spécialisée explique : « Aujourd’hui, on est sur un quai de gare, chaque politique c'est un train, on ne peut pas monter dans tous et ils ne parlent pas tous à la même heure, pas dans les mêmes directions. Donc voilà, c'est une réalité, je ne dis pas qu'on n'a pas besoin d'argent, mais on n'a pas besoin des financements de la cité éducative. En fait, nous, un financement, il est intéressant pour nous s'il nous permet de conserver la nature de notre mission et là ce n’est pas le cas, c'est tout. » [Educatrice spécialisée].
Des résistances cognitives : Ces résistances touchent un grand nombre de professionnels, qui sont conscients des freins auxquels ils doivent faire face. Les professionnels ne possèdent pas toujours les outils, les méthodes pour "faire participer" et manquent de temps d'élaboration collective. Les résistances cognitives sont liées au sentiment de ne pas être à la hauteur face aux injonctions et d'être insuffisamment outillé pour agir.
Dans ce cas de figure, deux issues émergent : D'une part, des résistances surmontées qui permettent aux professionnels de s'inscrire en réponse aux injonctions : « Il a fallu rebondir très vite, réadapter le projet et surtout le réadapter aux besoins exprimés par les habitants. Donc les personnes rencontrées, les habitants des quartiers, mais beaucoup plus jeunes que le public qu'on avait initié, avec lequel on avait initialement prévu de travailler, ça a demandé de rebondir dans la démarche du projet, de réadapter et puis aussi de reconstruire avec le réseau de partenaires qui n'était pas envisagé initialement, donc professionnellement, pour moi personnellement et pour mon équipe, je pense que c'est ça a été très formateur et très intéressant » [Responsable association financée cité éducative].
D'autre part, des professionnels qui ne parviennent pas à surmonter les freins cognitifs et admettent : « Moi, je n'arrive pas à travailler comme ça » [Référente jeunesse].
Des résistances politiques : Au-delà des outils et de la temporalité, les professionnels sont confrontés à la question de la légitimité, qui dépend, en partie, de leurs capacités à mener à bien les projets labellisés. L'annulation du projet ou une forte négociation du projet pourrait être perçue par les autres professionnels du territoire ainsi que par les membres de la gouvernance de la cité éducative concernée, comme une vulnérabilité, une forme d’incompétence. Il y aurait ici l'idée que faire partie du label cité éducative serait considéré comme une forme d'excellence et de reconnaissance de la qualité des projets menés par les professionnels. Au-delà de la légitimité au sein même du label, il est question de la réputation professionnelle à l’échelle du territoire, ce qui met en exergue d'importants jeux de pouvoirs. Autrement dit, il y aurait d'un côté les professionnels qui sont légitimes à s'inscrire dans ce label, et ceux qui ne seraient pas à la hauteur des exigences du label.
Si la majorité des professionnels s'inscrivent tout de même, de gré ou de force, dans cette logique concurrentielle, certains professionnels, certaines structures décident sciemment de ne pas prendre parti à ce label, de rester à distance des logiques qu'elles imposent.
Des résistances économiques : En filigrane des résistances politiques sont nécessairement présentes des résistances économiques, où les logiques de financements et d'évaluation des projets priment sur la qualité même des projets et laissent, nous l'avons vu, la possibilité aux professionnels de contourner cet enjeu de participation.
Les résistances économiques liées aux configurations actuelles, notamment dans le champ associatif génèrent des incompréhensions, des tensions : « On a 100% des financements demandés pour le vélo, 50% pour la conteuse, 50% pour le scientifique. C'est pareil, pourquoi seulement la moitié ? Je ne comprends pas quoi, voilà alors, les dossiers sont instruits par un groupe (…), mais pourquoi un dossier est pris et pourquoi un dossier n'est pas pris. Quand la coordinatrice ne sait pas, qui le sait ? » [Président d’association].
Nous pouvons également ici faire référence aux logiques concurrentielles entre les différents types d'associations au sein des cités éducatives (Juan et Testi, 2025)
En ce sens, les résistances des professionnels sont le plus souvent nombreuses et cumulées lorsqu'il s'agit de "faire participer", en réponse aux injonctions.
Et vous ✍️ : Quelles sont les résistances auxquelles vous êtes confrontées ? Qu'est-ce qui est le plus complexe ou le plus déroutant dans cette réponse à l'injonction partenariale ? Comment parvenez-vous à les surmonter ?
Le prochain billet permettra de mettre en lumière quelques éléments qui facilitent la mise en oeuvre de projets participatifs. Nous essayerons de cerner les raisons pour lesquelles aller-vers les publics et les impliquer est toujours aujourd'hui une tâche difficile.
Bibliographie :
Soparnot, R. (2013). Les effets des stratégies de changement organisationnel sur la résistance des individus. Recherches en Sciences de Gestion, 97, 23-43.
Juan, M. & Testi, J. (2025). L’éducation populaire à l’épreuve de l’action publique partenariale : nébuleuse associative et enrôlements institutionnels dans les Cités éducatives, Diversité, 206.
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