top of page

#4. Déconstruire la “non-participation” des publics

  • lauriegenet
  • il y a 3 jours
  • 9 min de lecture

Nous proposons ici de réfléchir aux raisons pour lesquelles la participation des publics constitue toujours un objectif à atteindre et est peu efficiente aujourd'hui au sein des cités éducatives, en considérant notamment la parole des jeunes et des familles à qui on demande de s'impliquer.


« Les publics de la participation sont en effet le produit de la rencontre entre une offre de participation (une incitation ou un stimulus institutionnel) et des citoyens qui l’acceptent. Il faut donc porter attention, dès lors qu’on cherche à analyser le public constitué et le travail de ceux qui le constituent, à la « demande », plus ou moins latente et pas forcément préexistante, de participation ou du moins aux appétences

pré-constituées pour la participation ». (Bachir & Lefebvre, 2019)



1. Déconstruire l'absence de participation des jeunes !


La participation des jeunes et de leur famille au sein des dispositifs relevant des politiques éducatives fait consensus pour une majorité de professionnels. En revanche, ces professionnels, et parfois ceux qui opèrent au plus proche des jeunes, n'ont pas toujours une vision globale des activités réalisées par les jeunes qu'ils côtoient, ni des structures ou des actions dans lesquelles ils peuvent être inscrits.

À partir des propos des jeunes (entretiens et discussions informelles), nous proposons ici de revenir sur quelque-uns des éléments qui démontrent une "participation" des jeunes, parfois même une "sur-utilisation" des offres socio-éducatives.


  1. Des jeunes et leurs emplois du temps

    Au-delà du temps scolaire, les jeunes sont inscrits au sein de différentes activités (accompagnement scolaire, sports, cultures, cours de langue, activités ludiques, arts ...). Autrement dit, le temps "libéré" de l'école, leur temps libre est, dans les territoires prioritaires particulièrement re-institutionnalisés (Zaffran, 2011). Le temps libre est alors passé au sein de dispositifs, programmes, actions qui endiguent les pratiques réellement libres des jeunes.

    À l'échelle des 50 jeunes que nous avons pu rencontrer (sur deux territoires distincts), les jeunes passent entre 30 et 47 heures au sein d'espaces institutionnalisés (école comprise).


    Par exemple, Andréina n'est inscrite qu'au CLAS, deux soirs par semaine en dehors de l'école. Elle fait partie des jeunes qui sont particulièrement à distance des politiques éducatives (31 heures).

    L'emploi du temps d'Andréina n'est toutefois pas représentatif. Celui de Yassine est davantage partagé par une majorité des jeunes rencontrés (42 heures) : Des activités sportives, des activités ludiques, des activités d'accompagnement scolaire, des projets divers (centre social) [et des pratiques cultuelles].

    C'est aussi le cas de Mohammed, qui lui possède une diversité d'activités sportives et scolaires, mais également des activités ludiques et linguistiques (47 heures).

    « Il a le temps très chargé, Mohammed, le lundi, il fait piscine pendant une heure et demie, de 18 h 00 jusqu'à 19 h 30 et le mardi, il fait l'aide aux devoirs jusqu'à 18 h. Le mercredi, il fait le foot à 13 h 30 et après, il fait la piscine de 17 h 30 jusqu'à 19 h et après le jeudi, il fait l'aide aux devoirs et il quitte le centre quinze minutes avant pour commencer la piscine à 18 h jusqu'au 19 heures. Le vendredi, on fait la ludothèque et le samedi, il y a des matchs de foot soit en déplacement, soit ici et le dimanche, il fait l'école arabe. » [Mère de Mohammed (8 ans)

    En considérant les jeunes qui endossent une charge d'activité importante, comme Mohammed, nous comprenons mieux que demander aux jeunes de s'investir au sein d'un projet, d'une activité, de s'engager à long terme sur d'autres dispositifs alourdit encore un emploi du temps déjà particulièrement chargé.


  2. Des jeunes qui choisissent pour quoi ils s'engagent

    De plus, les jeunes, y compris lorsqu'ils sont encore inscrits à l'école primaire, sont en mesure de faire des choix, de choisir ce qui a du sens pour eux et de mettre de côté ce qui leur apparait trop déconnecté, trop éloigné de leurs envies, de leurs préoccupations.

    Nous avons par exemple recueilli les propos de jeunes collégiens qui après avoir été inscrits à Devoirs-faits, au PRE, au CLAS, ont préféré se désinscrire de l'ensemble de ces dispositifs en explicitant les raisons de leur désintérêt (pas assez d'encadrement, trop d'activités en dehors des devoirs, trop complexe en termes d'horaire...)


    De plus, lorsque les jeunes choisissent de participer à un projet, ils sont dès lors en mesure d'expliciter les raisons. Nous avons mis en exergue que la participation des jeunes est liée à des facteurs socialisateurs (présence de pairs et amis), à la découverte ludique et à l'opportunité de voyages, au cout de l'inscription, aux horaires, à la réputation de la structure (et aux institutions), à la possibilité de s'extraire du domicile, à la distance géographique, mais aussi aux apprentissages utiles qu'ils peuvent y trouver (Genet, en cours).


    Nous voulons souligner également la puissance des valeurs d'engagement soutenues par les jeunes : « Non moi, je ne peux pas sortir pour, je suis obligée parce que je suis inscrite et je peux pas me désinscrire, c'est jusqu'au mois de juin. Et pour le PRE je dois aussi venir, et le mercredi je suis encore obligée, mais vraiment obligée. Pour moi, je suis obligée parce que c'est quand même des devoirs et que c'est la directrice qui m'avait inscrite, c'est par la mairie et je suis obligée de rester, sinon ça se fait pas. » [Belinay - 11 ans]


    Autrement dit, les jeunes ont fortement recours aux offres du territoire et s'y inscrivent en en maitrisant les tenants et les aboutissants. Le non-recours (Warin, 2017) fortement prédominant dans les discours des professionnels ne concerne en réalité qu'une minorité de jeunes...


  3. La participation des familles : Aller-vers ou faire venir ... ? Des familles sur-sollicitées

    De plus, dans les politiques éducatives territorialisées, les projets proposés sont majoritairement conçus "sans" les publics, dans cette conception que le public sera nécessairement présent à ce qu'on pourra leur proposer, puisque ça répond à un des besoins identifiés.

    Toutefois, cette stratégie, communément déployée, ne permet pas de fédérer et de lever les freins propres aux familles, notamment sur des questions de disponibilité, de garde d'enfant, de transport, d'emploi ou même de coût. Nous mentionnons également la disponibilité mentale pour s'engager dans des projets en tant que mère ou père de familles, parfois confrontés à des situations de grande vulnérabilité.


    Le non recours des familles repose alors sur des raisons pratico-pratiques :

    « - Bah il y beaucoup de trucs à la médiathèque, mais j'ai oublié puisque en fait j’y vais presque plus.

    - Pourquoi tu y vas presque plus ?

    - Parce que, en fait, euh, des fois, j'ai pas le temps d'y aller, c'est trop tard ou bah des fois, ma mère, elle peut pas » Diaba - 9 ans.


    Ce sont également les propos d'une professionnelle d'un territoire que nous souhaitons mettre en exergue, puisqu'elle explique comment sa conception de l'implication des parents a évolué lorsqu'elle est elle-même devenue mère de famille : elle admet appartenir à la classe moyenne et n'être inscrite à aucune activité, aucun atelier, ne pas être présente à toutes les réunions avec l'école et elle refuse de participer aux activités proposées par le centre social les weekends, puisqu'elle considère que ces créneaux sont dédiés à la famille.

    Pourquoi donc les familles soumises à des situations de vulnérabilités devraient-elles plus "participer" que les autres ? Pourquoi leur absence est-elle davantage mal perçue ?


    Il s'agit ici de distinguer les familles qui ne s'inscrivent pas au sein des offres proposées, mais qui en connaissent l'existence, des familles qui sont dans une forme de non-recours par non-connaissance. Autrement dit, il s'agit de la nuance entre "aller-vers" les familles les plus éloignées, ou "faire venir" à tout prix des familles, y compris celles qui n'ont pas nécessairement besoin de ces offres ...


2. Des "a-priori" des professionnels qui ont la vie dure !


À l'occasion d'échanges avec les professionnels, certains éléments apparaissent comme des a priori, des jugements qui ont la vie dure et perdurent, notamment sur les questions des besoins des jeunes, de leur capacité à s'orienter ou de leur absence d'engagement.


  1. Des besoins mal identifiés VS des réponses qui ne pallient pas aux problématiques :  

    Aujourd'hui encore, dans les discours que nous entendons chez les professionnels, il y a une ignorance importante concernant le quotidien et les difficultés véritablement rencontrées par les jeunes, comme si les problématiques de la dernière décennie étaient toujours les mêmes aujourd'hui, transposables de générations en générations...

    Au sein d'une cité éducative francilienne par exemple, les professionnels estiment que la mobilité en dehors du quartier et en dehors de la ville est une problématique majeure. Tout un axe stratégique est déployé en ce sens. Elle l'est probablement pour certains jeunes, toutefois la majorité des jeunes enquêtés nous font le récit d'une mobilité très importante en Ile de France, aussi bien pour leur scolarité que pour leurs loisirs, à pieds, à vélo ou en transport en commun.


En ce sens, l'écart entre les besoins des jeunes et les conceptions des professionnels est important : si les actions menées ne répondent pas foncièrement à un besoin réel pour les jeunes, n'est-il pas évident que leurs adhésions, leurs participations seront moindres ?


  1. Des représentations tenaces sur "l'orientation" des jeunes : 

    Dans les conceptions, les jeunes ne seraient pas toujours en mesure de s'orienter dans le mille-feuille éducatif, et c'est en cela que les professionnels doivent être en mesure de les orienter vers les offres qui peuvent leur correspondre. Mais en réalité, les professionnels ont parfois du mal à s'y retrouver eux-mêmes dans l'orientation des jeunes, de par la multiplicité des offres et des dispositifs existants.


    Cette volonté d'orienter à tout prix entre en contradiction avec la capacité des jeunes à s'orienter eux-mêmes et leur capacité à naviguer entre les différentes offres qui leur sont proposées, à les expérimenter. Autrement dit, pousser un jeune à l'inscription dans tel ou tel dispositif peut apparaitre contre-productif : il s'agit alors de distinguer les jeunes qui sont demandeurs de conseils, qui requièrent cette orientation, et ceux qui la subissent.

  2. Des conceptions adultes de la "bonne" participation : 

    Qu'est-ce que réellement la participation ?

    Lever la main en classe n'est-il pas déjà une forme de participation ? Aider son petit frère dans la réalisation de ses devoirs au quotidien ne serait-il pas une forme d'implication ? Supporter ces amies lors d'un évènement sportif n'est-il pas une manière de participer ? Donner son avis sur un forum d'orientation n'est pas faire acte d'engagement ?


    Vous l'aurez compris, nous défendons l'idée que les jeunes participent et sot largement investits, au quotidien. En revanche, ils ne sont pas nécessairement présents là où leur "participation" formelle est attendue !


    Nous donnerons ici l'exemple d'une initiative de jeunes, pour les jeunes et par les jeunes, dans la proposition d'un espace dédié à la réalisation des devoirs au sein d'un quartier. Cet espace, non institutionnalisé, n'est pas repéré par les professionnels comme un espace de participation et d'émancipation. Il n'y a pas d'inscription requise ou même d'adhésion, en revanche, il n'en est pas moins que les jeunes présents participent et sont même impliqués !


3. Tensions entre expérimentations et cadrage politique !


Nous souhaitons aborder ici le fait que, si professionnels et publics peuvent parvenir à travailler davantage sur la question de l'adéquation entre les besoins et les réponses proposées, les cadrages institutionnels et politiques brident, nécessairement les expérimentations.


  • Dans un premier temps, nous pouvons mentionner la nécessité pour les professionnels de visibiliser le nombre de jeunes présents au sein de leur action, dans une logique de new management public, qui va forcer les professionnels à proposer des activités au sein desquelles la présence sera effective (et à ne pas prendre de risque avec des projets qui peuvent être plus complexes en termes de fédération des publics).

  • Nous pouvons à nouveau mentionner la temporalité : on ne fédère pas des jeunes pour un projet ambitieux en l'espace de quelques jours. C'est un travail au long cours qui se heurte aux logiques d'appels à projets et aux calendriers fixés.

  • Nous mentionnerons également les choix organisationnels et politiques qui, par exemple, ne permettent pas aux structures municipales de certains territoires d'obtenir des fonds dans le cadre de la cité éducative, et empêchent ces professionnels d'innover.

  • ...


Dans ce contexte, il faut savoir innover en restant dans un cadre aux contours rigides !


En définitive, les jeunes et leurs familles participent souvent déjà beaucoup, mais selon des formes et dans des logiques qui échappent aux cadres attendus par les institutions. Il ne s’agit donc pas tant de susciter la participation que de la reconnaître là où elle existe, et de réinterroger les attentes normatives qui sous-tendent les dispositifs. La participation ne devrait pas être mesurée à l’aune de la présence physique ou de l’inscription administrative, mais à partir de la manière dont les publics s’approprient, transforment ou refusent les offres proposées.


Et vous ✍️ : Les "a-priori" mis en exergue ici font-ils résonance avec vos propres conceptions ? Comment travaillez-vous à la remise en question de ces "a-priori" ? Selon vous, est-ce que l'injonction participative est illusoire face à ces constats ?

N'hésitez pas à nous faire part de vos impressions - nous serons ravies d'amorcer une réflexion croisée à ce sujet !


Le prochain et dernier billet de cette série sur la participation propose des pistes de réflexions sur la manière dont peuvent s'élaborer des conceptions partagées de la participation et permettre une participation plus efficiente.


Bibliographie :

Zaffran, J. (2011). Le “problème” de l’adolescence : le loisir contre le temps libre, SociologieS, Théories et recherches.

Genet, L. (en cours). Les jeunes face aux dispositifs socio-éducatifs en quartiers prioritaires : entre non-recours, participation et implication. Warin, P. (2017). Le non-recours aux politiques sociales. Presses universitaires de Grenoble

Commentaires


bottom of page