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#1. Cités éducatives : quels publics, quelles participations ?

  • lauriegenet
  • il y a 1 jour
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 5 heures

Nous proposons dans ce billet d'aborder l’écart souvent observé entre les publics visés au sein des cités éducatives et ceux qui sont réellement touchés. Nous interrogeons également les formes de participation et comment ces éléments participent à l'élaboration d'une politique publique qui reste à distance des publics initialement ciblés.



1. Faire participer, oui mais qui ? 🔍


Les cités éducatives ont pour ambition de "toucher", dans un premier temps, les 3-25 ans, puis très rapidement (dès 2020), les 0-25 ans, avant, pendant, autour et après l'école.

De plus, au-delà de ces "jeunes", il s'agit de mobiliser, de fédérer les familles de ces jeunes, mais en réalité, qu'en est-il ?

Qui sont les publics priorisés à l'échelle des différentes cités éducatives ?

Qui sont les publics réellement touchés dans le cadre des projets labellisés Cité éducative ?


Pour illustrer ces éléments, nous nous appuyons sur les revues de projets nationales, mais également, de manière plus fine, sur les constats effectués à l'échelle des cités éducatives enquêtées.


Pour illustrer ces éléments, nous nous appuyons sur les revues de projets nationales, mais également, de manière plus fine, sur les constats effectués à l'échelle des cités éducatives enquêtés.


  1. Les jeunes du territoire 🧒👧

    Les "jeunes" de 0 à 25 ans du territoire cité éducative constituent la cible des cités éducatives, mais cette cible reste peu définie, peu palpable. Les questionnements des professionnels sur l'hétérogénéité de ces jeunes, par leurs âges, les profils, leurs configurations sociales et familiales, sont rares, lorsqu'ils abordent la cité éducative.

    On parle des jeunes dans leur ensemble, le plus souvent sans préciser de qui on parle !

    Lorsque les professionnels précisent de qui ils parlent, c'est avant tout par la tranche d'âge que les découpages s'opèrent, notamment au sein des revues des documents, depuis les fiches-projets jusqu'aux remontées d'informations nationales (cf.#2)


    De même, la question de l'appartenance des jeunes au territoire de la cité éducative est peu abordée (peut-être parce qu'elle est bien compliquée à résoudre...?) - Les jeunes de la cité sont-ils ceux qui y vivent, ceux qui y sont scolarisés, ceux encore qui y fréquentent des structures sociales, culturelles ou sportives ? Un peu de tout ça à la fois ?

    On comprend vite que la cible "jeunes du territoire" est dans les faits une "coquille vide" qui ne permet pas de définir, concrètement, de quels jeunes il est véritablement question.


Prenons ici l'exemple d'une association qui propose un projet qui permet de fédérer des jeunes filles pour la réalisation de stages durant les vacances liés au numérique. Cette association, implantée sur le quartier de la cité éducative, propose des actions au sein de ces locaux et dans d'autres structures du territoire. Toutefois, la question se pose de savoir quels sont les jeunes qui s'inscrivent au sein de ces stages : "de toute façon le programme même il est ouvert à tout le département, donc même une fille qui vient d'ailleurs, elle est complètement éligible au programme. Après effectivement, du fait de notre intégration à la cité éducative, on a tendance quand même effectivement à maximiser des actions sur le quartier, par exemple, là on a fait la semaine dernière une session de Tracking, de dépôt d'affiches, de flyers, vraiment dans toutes ces structures jeunesse du quartier, donc de ce fait, forcément on a plus d'inscrites qui viennent du quartier et après effectivement nous notre critère de sélection des filles ça va être prioritairement les filles qui sont donc en quartier de la politique de la ville. Donc le quartier voilà parce que voilà déjà les filles vont être prioritaires en fait où pour des filles en établissement rep et rep+, mais on peut pas refuser celles qui viennent de l'exétieur" Dans les faits : seule la moitié des jeunes filles mobilisées sur les stages étaient résidente de la ville, moins d'un quart résidait le quartier prioritaire.


  1. Les 0-3 ans et les 16-15 ans 👶🧑‍🎓

    Une majorité des cités éducatives priorisent, de différentes manières et en réponse aux injonctions nationales, les publics les plus éloignés des institutions, à savoir les 0-3 ans et les 16-25 ans. En revanche, il y a là encore un écart important entre ce qui est souhaité et les publics réellement touchés. (Nous pouvons également mentionner ici la difficulté des cités éducatives à travailler en collaboration avec les cités de l'emploi, mission locale ou PRIJ, par exemple).

Dans une cité éducative, par exemple, on peut lire que 7% des projets concernent la petite enfance, que 8% touchent les 12-17 et 0% touchent les 16-25 ans. Dans une autre, on lit que 2,1% des projets touchent la petite enfance et que 13,4% touchent les 12-17ans.

Autrement dit, l'injonction à prioriser ces publics ne se traduit pas par des propositions concrètes (qui sont ici majoritairement liées à la complexité d'atteindre ces publics, non ou peu captifs des institutions).


  1. Les parents des jeunes 👨‍👩‍👧

    De plus, la question de la participation des parents est centrale dans les injonctions, mais également dans les conceptions défendues par les professionnels des territoires, dans une volonté de coéducation.

    Ici, les catégorisations des projets sont moins explicites : on parle tantôt des parents, tantôt des familles, tantôt de l'ensemble des habitants, brouillant ainsi la place réelle des parents.


    Ce brouillage est d'autant plus fort que la présence des parents est le plus souvent corrélée à leur présence au sein des temps festifs et conviviaux, comme ce peut être le cas dans le cadre des journées de la rentrée ou des forums d'orientation financés dans le cadre de cités éducatives.

    Peu de projets sont explicitement menés envers les parents, et lorsqu'ils le sont, ce sont des projets qui visent de petits collectifs. Par exemple, dans le cadre du projet Mamans de quartier, l'objectif était de constituer un groupe d'une quinzaine de mères ; dans le cadre du projet Endre la main, c'était une quarantaine de familles adhérentes à l'association qui pouvaient être touchées. Autrement dit, un nombre de familles qui, proportionnellement au nombre de familles résidantes des cités éducatives, reste dérisoire.

Nous apportons un point de nuance ici : nous sommes les premiers à prôner que la quantité ne fait pas la qualité ! Nous ne sous-entendons pas nécessairement qu'il faudrait absolument toucher un nombre considérable de parents. Nous illustrons simplement le fait qu'objectivement la cible "principale" que constituent les parents dans le cadre des cités éducatives reste une cible très secondaire.

Nous concluerons ce point en mentionnant que les cités éducatives composent alors avec un "agglomérat de publics" à "faire" participer : un agglomérat peu défini qui reste "flou", et un réel écart entre les publics ciblés prioritairement et les publics réellement touchés (nous pourrons y revenir…).


2. Quelles formes de participation en cités éducatives ? 🧩


Au-delà des publics, il convient de distinguer ce qui se cache derrière la participation de ces publics. Autrement dit, participent-ils réellement ? Sont-ils impliqués ou seulement présents ? Y a-t-il des visées émancipatrices ou non au sein des projets soutenus ?


Pour penser cette participation, nous mobilisons l'échelle (simplifiée) d'Arnstein, qui offre une catégorisation simple (peut-être trop) de la participation, que nous illustrons par trois projets représentatifs des formes de participation repérées.

Degrés de participation

Une non participation

Une participation symbolique

Une participation effective

Définition

Les individus sont ici considérés comme étant captifs, répondant sans réelle volonté aux sollicitations de présence.

Ici, les individus peuvent participer aux échanges, mais les professionnels conservent un rôle dominant.

Repose sur le partage du pouvoir décisionnel entre les usagers et les professionnels, équivalant à une forme d’implication.

Exemples

Le projet "Echec" illuste une non-participation. Les jeunes sont inscrits (de fait) sur le temps scolaire à des ateliers d'échecs. Ils n'ont d'autre choix que d'être présents.

Le projet "Habiter son imaginaire" se déroule dans les classes de CM2 sur la perception du territoire. L'animation des temps ne permet pas aux jeunes de s'exprimer : ils sont encadrés dans la conception de maquettes qui s'éloignent des enjeux du quartier; Ici les propositions des jeunes ne sont pas prises en compte - les réalisations répondent à un cahier des charges défini en amont dans le cadre d'une exposition des oeuvres produites.

Le projet "Avenir" permet à des jeunes filles de s'emparer de questions de société et de construire un parcours de connaissance. "Le principe, c'est qu'elles sont une vingtaine. Donc, trois par collège et le reste au lycée, mais répartis selon les différents collèges. Et elles repèrent une personnalité et à partir de cette personnalité qu'elles étudient, elles se fixent un défi qui les fait sortir de leur zone de confort". Concrètement,ce sont des sorties, des concours, des écrits personnels, des engagements bénévoles réalisés toute l'année sur le temps scolaire et au-delà...

Le raisonnement proposé ici est bien évidemment trop rapide, mais permet toutefois de saisir (me semble-t-il) la nuance entre les différentes formes de participation, qui sont en réalité peu questionnées – il est souvent davantage question de "toucher" la cible, plutôt que de questionner la manière dont va être "touchée" cette cible.


Au sein des cités éducatives, et à titre d'explicitation, les projets qui relèvent de la non-participation représentent en moyenne 53 % des projets, ceux qui relèvent de la participation symbolique représentent 33 % des projets. La participation effective est alors retrouvée seulement dans 13 % des projets, à la marge.


  1. Des cités éducatives sans leurs publics ...? 🏛️


  1. Des cités éducatives qui ne touchent pas les publics "les plus éloignés" 🎯

Ce que nous pouvons alors mettre en exergue au sujet de la participation des publics en cité éducative, c'est d'une part que les publics sont en réalité peu définis et ciblés et d'autre part que la participation en elle-même n'est que trop peu explicitée.


En revanche, nous pouvons également pointer du doigt le fait que les projets proposés dans le cadre des cités éducatives touchent, majoritairement, les publics qui sont déjà inscrits, investis, impliqués au sein des dispositifs relevant des politiques éducatives compensatoires.


Dans le cadre du travail de thèse réalisé, nous avons pu montrer que si on s'attache aux profils des jeunes (en considérant le cadre socio-économique et culturel, le style parental, l'environnement éducatif, le rapport au quartier), ce sont les jeunes les moins "en difficulté" qui sont inscrits au sein des projets relevant de la cité éducative.


Ces propos sont davantage développés et explicités dans le chapitre 9 du manuscrit de thèse
Ces propos sont davantage développés et explicités dans le chapitre 9 du manuscrit de thèse

Autrement dit, les jeunes que nous avons qualifiés de "dépourvus", "isolés" et "résilients" font face à des difficultés cumulées et ne sont que très faiblement inscrits volontairement au sein des projets (entre 0 et 28 % des jeunes). Ils peuvent en revanche être inscrits "par défaut", notamment dans le cadre scolaire, dans une forme de non-participation de manière plus importante (entre 16 et 50 % des jeunes).

Ces chiffres sont largement supérieurs pour les jeunes "épanouis", "surmenés" et "résilients", qui, bien que touchés par des vulnérabilités, sont déjà largement consommateurs des politiques éducatives.


  1. Des publics qui participent eux-mêmes à éloigner les publics les plus éloignés : un cercle vicieux 🌀

Nous amorçons ici une réflexion plus large et complexe sur l'incidence que produisent les jeunes eux-mêmes sur les projets dans lesquels ils sont inscrits.


Nous soutenons l'idée que les jeunes les plus consommateurs des offres, inscrits à différents dispositifs et activités de manière régulière, participent à la transformation des actions. En effet, en négociant, de manière formelle ou informelle, ils orientent l'action (souvent par l'effet de groupe) en construisant une action qu'ils façonnent à leur image, selon leur envie, leur disponibilité, leur objectif. Ce processus apparait d'autant plus lorsque les jeunes s'inscrivent volontairement dans un projet : ils peuvent alors en contrepartie orienter, négocier, faire bouger les lignes d'un projet.

En faisant bouger ces lignes, les jeunes négociateurs éloignent nécessairement les jeunes les plus éloignés, les plus vulnérables, puisque leurs envies, leurs disponibilités ou leurs objectifs sont profondément différents.


Page 378 du travail de thèse, je conclus alors en écrivant : "Ainsi, les cités éducatives fabriquent leurs publics à partir de jeunes « déjà-là » et participent, dans le même temps, à l’éloignement et au désintéressement des publics initialement ciblés." Autrement dit, nous pouvons ici faire référence à un élitisme dissimulé (van Zanten, 2002).



Et vous ✍️ : Comment est-ce que vous pensez les publics cibles ? Quels peuvent être les écarts entre les publics cibles et les publics réellement touchés au sein de vos actions ? Comment les jeunes parviennent, parfois, à modifier la teneur des projets menés ?

Nous attendons des illustrations de pratique avec grand intérêt !



Dans le prochain billet, nous commencerons à déconstruire les constats que nous avons déposés ici, en abordant les conceptions de la participation des publics par les représentants institutionnels au sein des cités éducatives.




Bibliographie :

Arnstein, S. R. (1969). A ladder of citizen participation. Journal of the American Institute of Planners, 35(4), 216 224.

van Zanten, A. (2022). Le double élitisme de l’école française. Carnets Rouges. École et élitisme, n°24, 10-12.

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